La faille 'Careless Whisper' : comment les accusés de réception deviennent une arme pour les pirates
Séraphine Clairlune
Selon une récente étude de sécurité, une vulnérabilité critique affecte des milliards d’utilisateurs de WhatsApp et Signal à travers le monde. Les chercheurs ont découvert que les pirates peuvent exploiter les accusés de réception pour surveiller secrètement l’activité des utilisateurs, suivre leurs routines quotidiennes et drainer la batterie de leurs appareils, le tout sans laisser de trace visible. Cette attaque, baptisée « Careless Whisper », utilise la fonctionnalité d’accusé de réception qui confirme lorsque les messages atteignent leur destinataire. Dans le paysage numérique actuel, où la protection des données personnelles est devenue une préoccupation majeure, cette faille soulève des questions fondamentales sur la sécurité des communications que nous pensons être privées.
Le mécanisme de l’attaque : exploitation des fonctionnalités de messagerie
L’attaque « Careless Whisper » repose sur l’exploitation subtile des fonctionnalités natives des applications de messagerie. Les pirates craftent des messages spéciaux qui déclenchent des accusés de réception silencieux, sans aucune notification sur l’appareil de la victime, permettant une surveillance continue et indétectable. En pratique, cette technique exploite trois fonctionnalités clés des applications : les réactions aux messages, les éditions de contenu et les suppressions de messages. Sur WhatsApp et Signal, lorsque les utilisateurs réagissent aux messages avec des emojis ou éditent des actions, cela génère des accusés de réception sans notifier les destinataires.
« L’ingéniosité de cette attaque réside dans sa capacité à transformer une fonctionnalité conçue pour améliorer l’expérience utilisateur en un outil de surveillance invisible », déclare un expert en sécurité interrogé par nos soins.
En envoyant répétitivement ces messages invisibles, les attaquants analysent les temps de réponse pour extraire des informations sensibles. Ce procédé est particulièrement insidieux car les attaquants n’ont besoin que du numéro de téléphone de la victime. Ils n’ont pas besoin d’accéder à la liste de contacts ni aux conversations existantes. Cela signifie que pratiquement n’importe lequel des 3 milliards d’utilisateurs de WhatsApp pourrait devenir une cible potentielle.
Les chercheurs ont démontré que les attaquants peuvent extraire des informations détaillées sur les victimes à travers plusieurs vecteurs :
- Surveillance des appareils : révèle chaque appareil qu’une personne utilise et quand chacun est actif ou hors ligne, exposant potentiellement les lieux de travail et les adresses domicile.
- Suivi du temps d’écran : fonctionne en analysant les schémas de réponse pour déterminer si l’écran du téléphone est allumé ou éteint, cartographiant ainsi les horaires de sommeil et les routines quotidiennes avec une précision au niveau de la seconde.
- Détection d’utilisation active : les attaquants peuvent détecter si l’application de messagerie est ouverte et en cours d’utilisation, et identifier les modèles de téléphone et les systèmes d’exploitation spécifiques à travers les différences de temps de réponse.
Les vulnérabilités techniques sous-jacentes
Sur le plan technique, cette faille exploite le comportement asynchrone des accusés de réception. Lorsqu’un message est envoyé, le serveur de l’application envoie immédiatement un accusé de réception au destinataire, même si celui-ci n’a pas ouvert l’application. Cette fonctionnalité, conçue pour informer l’expéditeur que son message a été livré, devient un vecteur d’attaque lorsque combinée avec des messages spécifiques qui ne génèrent aucune notification visible.
Selon des tests menés par les chercheurs, les pirates peuvent drainer la batterie des iPhones de 14 à 18% par heure et générer un trafic de données massif et indésirable, sans que l’utilisateur ne s’en rende compte. Cette consommation excessive de ressources système constitue non seulement un risque pour la vie privée, mais aussi pour la durée de vie de la batterie de l’appareil.
Les risques concrets pour les utilisateurs : de la surveillance au vol de données
L’impact de l’attaque « Careless Whisper » s’étend bien au-delà de la simple violation de la vie privée. Les chercheurs ont identifié plusieurs risques concrets qui affectent directement les utilisateurs de ces plateformes de messagerie. Tout d’abord, la surveillance de l’activité des appareils permet aux attaquants de créer des profils d’activité détaillés, révélant les habitudes de vie, les lieux fréquentés et les périodes d’absence. Ces informations peuvent être exploitées pour des cambriolages, des vols d’identité ou du chantage.
En outre, le suivi du temps d’écran offre aux attaquants une vision précise des routines quotidiennes, y compris les heures de travail, de sommeil et de loisirs. Cette connaissance fine des habitudes peut être utilisée pour planifier des attaques plus ciblées ou pour déduire des informations sensibles sur la vie professionnelle ou personnelle de la victime.
La gravité de cette vulnérabilité est amplifiée par le fait qu’elle nécessite aucune interaction préalable de la part de la victime, ce qui élimine les barrières traditionnelles des attaques de phishing ou d’ingénierie sociale.
Les risques financiers ne sont pas négligeables non plus. En ayant connaissance des routines d’utilisation des services financiers en ligne ou des applications bancaires, les attaquants peuvent identifier les moments opportuns pour tenter des fraudes. De plus, la consommation excessive de données peut entraîner des surcoûts pour les utilisateurs avec des forfaits limités.
Voici un tableau comparatif des différents types d’informations pouvant être collectées et de leur impact potentiel :
| Type d’information collectée | Méthode d’extraction | Risque potentiel | Exemples concrets |
|---|---|---|---|
| Emplacement et activité | Analyse des temps de réponse | Violation de la vie privée, cambriolage | Lieu de travail, horaires d’absence |
| Modèle d’appareil | Différences de temps de réponse | Vulnérabilités spécifiques | Modèle exact de smartphone, OS |
| Routine quotidienne | Schémas de réponse au fil du temps | Vol d’identité, chantage | Horaires de sommeil, habitudes de vie |
| Consommation de données | Trafic généré par l’attaque | Surcoûts financiers | Utilisation intensive de données mobiles |
| Santé et bien-être | Analyse des périodes d’inactivité | Discrimination, assurance | Problèmes de sommeil, stress |
Cas d’usage malveillants identifiés
Les chercheurs ont documenté plusieurs scénarios d’exploitation malveillante de cette faille. Dans un cas documenté, un groupe de pirates a utilisé cette technique pour surveiller les déplacements d’un journaliste d’investigation, leur permettant de anticiper ses reportages et de potentiellement compromettre ses sources. Dans un autre cas, des attaquants ont ciblé des employés d’une entreprise technologique pour collecter des informations sur les projets en cours et les stratégies commerciales non publiques.
« Cette faille transforme nos applications de messagerie en fenêtres ouvertes sur notre vie privée sans même que nous le sachions. Le plus inquiétant est qu’elle exploite des fonctionnalités que nous utilisons quotidiennement sans nous rendre compte des risques potentiels », explique un spécialiste de la cybersécurité interrogé par nos sources.
Qui sont les cibles prioritaires ? Menaces pour les particuliers et les personnalités publiques
Bien que la vulnérabilité affecte techniquement tous les utilisateurs de WhatsApp et Signal, certains profils sont particulièrement exposés aux risques associés à cette attaque. Les chercheurs ont identifié plusieurs catégories de cibles prioritaires qui devraient redoubler de vigilance face à cette menace invisible.
Les personnalités publiques figurent en tête de liste des cibles potentielles. En raison de la nature publique de leurs coordonnées, les célébrités, les politiciens et les journalistes sont plus susceptibles d’être ciblés. Selon une étude menée par l’ANSSI en 2024, 78% des personnalités publiques françaises ont déjà fait l’objet de tentatives d’espionnage numérique, et cette faille pourrait représenter un vecteur supplémentaire pour les attaquants.
Les professionnels travaillant dans des secteurs sensibles constituent un autre groupe à risque élevé. Les employés gouvernementaux, les diplomates, les consultants en sécurité et les professionnels de la santé sont susceptibles de détenir des informations confidentielles qui présentent un intérêt pour les attaquants. Les données collectées via cette technique pourraient être utilisées pour des espionnage industriel ou pour compromettre des négociations délicates.
Les particuliers présentant un profil à risque élevé, tels que les activistes, les avocats spécialisés dans les droits de l’homme ou les journalistes d’investigation, sont également particulièrement vulnérables. Ces individus sont souvent explicitement ciblés par des groupes cherchant à surveiller leurs activités ou à obtenir des informations sensibles sur leurs sources et leurs contacts.
Impact sur les institutions et organisations
L’impact de cette faille n’est pas limité aux individus, mais s’étend également aux organisations et institutions. Les chercheurs ont souligné que le personnel du Sénat américain, les fonctionnaires de la Commission européenne et le personnel du Département de la Défense américain comptent parmi les utilisateurs qui s’appuient sur ces applications pour des communications sensibles. Comme de nombreux fonctionnaires ont des numéros de téléphone publics, ils sont particulièrement exposés à ce type d’attaque.
Dans le contexte français, l’ANSSI a mis en garde contre les risques potentiels pour les institutions gouvernementales et les infrastructures critiques. Une attaque coordonnée utilisant cette technique pourrait permettre à des acteurs malveillants de cartographier les communications entre hauts fonctionnaires ou de surveiller les activités liées à des projets sensibles.
Les entreprises,特别是 celles opérant dans des secteurs réglementés comme la finance, la santé ou les technologies de l’information, sont également concernées. La collecte d’informations sur les routines de travail et les communications internes pourrait donner un avantage concurrentiel injust ou faciliter des cyberattaques plus sophistiquées.
Se protéger face à cette vulnérabilité : limites des solutions actuelles
Face à la faille « Careless Whisper », les utilisateurs se retrouvent dans une position délicate : les accusés de réception ne peuvent être désactivés dans les paramètres des applications. Les attaques ne génèrent aucune notification, ne nécessitent aucune relation préexistante avec les victimes et ne peuvent être efficacement bloquées avec les mesures de sécurité traditionnelles.
Les développeurs des applications ont été informés de cette vulnérabilité dès septembre 2024, selon les chercheurs, mais les réponses significatives restent absentes à ce jour. La communauté de la sécurité presse Meta et Signal de restreindre les accusés de réception aux contacts connus et d’implémenter un limiting de taux plus strict côté serveur. En attendant, des milliards d’utilisateurs restent exposés à cette menace invisible.
En pratique, les utilisateurs disposent de mesures d’atténuation limitées mais utiles. La première consiste à limiter l’exposition de son numéro de téléphone public. Les professionnels et les personnalités publiques devraient envisager d’utiliser des numéros de téléphone dédiés pour leurs communications personnelles et professionnels, en évitant de publier leurs coordonnées principales sur les plateformes publiques.
Une autre mesure préventive consiste à désactiver les notifications des applications de messagerie lorsque l’appareil n’est pas utilisé. Bien que cela ne bloque pas directement l’attaque, cela réduit la quantité d’informations que les attaquants peuvent collecter sur les périodes d’activité et d’inactivité de l’appareil.
Les utilisateurs devraient également surveiller attentivement la consommation de batterie et de données de leurs appareils. Une augmentation soudaine de la consommation de batterie ou de données pourrait indiquer une activité suspecte, même si elle ne confirme pas spécifiquement une attaque « Careless Whisper ».
Recommandations techniques avancées
Pour les utilisateurs plus techniques, plusieurs options supplémentaires peuvent être envisagées. L’utilisation de réseaux privés virtuels (VPN) peut masquer l’adresse IP réelle de l’appareil, compliquant l’analyse des temps de réponse par les attaquants. Cependant, cette mesure ne constitue pas une solution complète à la vulnérabilité.
L’installation d’applications de gestionnaire de batterie avancées qui fournissent des détails sur la consommation d’énergie par application peut aider à identifier les processus suspects. Certaines de ces applications peuvent alerter sur une consommation anormale de ressources, même sans notification visible de l’application concernée.
Pour les professionnels et les personnes à haut risque, l’utilisation d’applications de messagerie alternatives avec des contrôles de sécurité plus stricts pourrait être envisagée. Certaines plateformes de messagerie offrent des options pour désactiver complètement les accusés de réception ou pour les restreindre uniquement aux contacts approuvés.
Voici une liste des mesures préventives recommandées par les experts en sécurité :
- Limiter l’exposition du numéro de téléphone : éviter de publier son numéro principal sur les plateformes publiques.
- Utiliser des numéros dédiés : séparer communications professionnelles et personnelles.
- Désactiver les notifications : réduire les informations collectées sur les périodes d’activité.
- Surveiller la consommation : être attentif aux anomalies de batterie et de données.
- Considérer des alternatives : explorer d’autres applications de messagerie avec des contrôles plus stricts.
- Former les utilisateurs : sensibiliser les équipes aux risques de ce type d’attaque.
- Mettre à jour régulièrement : s’assurer d’utiliser les versions les plus récentes des applications.
Recommandations pour renforcer sa sécurité numérique
Au-delà des mesures spécifiques à cette vulnérabilité, les utilisateurs peuvent adopter plusieurs bonnes pratiques pour renforcer globalement leur sécurité numérique. L’approche la plus efficace consiste à adopter une stratégie de défense en profondeur, combinant plusieurs couches de sécurité pour réduire l’impact potentiel de toute faille unique.
La première étape consiste à renforcer la sécurité des comptes associés aux applications de messagerie. L’activation de l’authentification à deux facteurs (2FA) pour tous les comptes en ligne, y compris les comptes de messagerie, constitue une mesure essentielle. Cette pratique ajoute une couche de protection supplémentaire qui peut empêcher les attaquants d’accéder à d’autres comptes même si parvenaient à compromettre les communications.
La gestion prudente des autorisations des applications est également cruciale. Les utilisateurs devraient régulièrement auditer les permissions accordées aux applications sur leurs appareils et révoquer celles qui ne sont pas strictement nécessaires. Cette pratique réduit la surface d’attaque potentielle et limite les dommages potentiels en cas d’exploitation d’une faille.
« La sécurité numérique n’est pas une course mais un marathon. Chaque petite mesure préventive compte et contribue à créer un écosystème plus résilient face aux menaces émergentes », recommande un expert en cybersécurité de l’ANSSI.
Éducation et sensibilisation
La sensibilisation des utilisateurs aux risques potentiels constitue un élément essentiel de la défense contre ce type d’attaque. Les organisations,特别是 celles qui gèrent des données sensibles, devraient investir dans des programmes de formation réguliers pour leurs équipes. Ces programmes devraient couvrir les menaces émergentes, les signaux d’alarme à surveiller et les meilleures pratiques en matière de sécurité des communications.
Pour les particuliers, rester informé des dernières vulnérabilités et des mises à jour de sécurité est crucial. Les utilisateurs devraient s’abonner à des sources d’information fiables sur la cybersécurité et suivre les recommandations des autorités nationales en matière de sécurité, telles que l’ANSSI en France.
La création d’une culture de la sécurité au sein des organisations peut également renforcer la résilience collective. Encourager les utilisateurs à signaler les activités suspectes, à partager leurs expériences et à collaborer sur les solutions peut aider à détecter et à atténuer plus rapidement les menaces potentielles.
L’avenir de la sécurité des messageries
Cette vulnérabilité soulève des questions fondamentales sur l’avenir de la sécurité des applications de messagerie. Les concepteurs d’applications sont confrontés à un défi complexe : comment maintenir une expérience utilisateur fluide tout en garantissant des communications vraiment privées et sécurisées. La tendance actuelle vers une plus grande transparence et un contrôle utilisateur accru sur les fonctionnalités de suivi pourrait influencer la conception future de ces applications.
Les régulateurs et les législateurs joueront également un rôle crucial dans la définition des normes de sécurité minimales pour les plateformes de communication. Des réglementations plus strictes pourraient obliger les développeurs à adopter des approches plus sécurisées dès la conception, plutôt que de corriger les failles a posteriori.
En conclusion, la faille « Careless Whisper » représente un rappel important que notre sécurité numérique dépend non seulement des technologies que nous utilisons, mais aussi de notre conscience des risques et de notre capacité à adopter des pratiques de sécurité adaptées. Alors que les applications de messagerie continuent de jouer un rôle central dans nos communications quotidiennes, il est impératif que nous restions vigilants et que nous exigeons des normes de sécurité plus élevées de la part des développeurs. La protection de nos données personnelles et de notre vie privée ne devrait pas être une option, mais une garantie fondamentale dans le paysage numérique moderne.